Un mémo du patron d’Uber destiné à ses employés a fuité sur la Toile. Scandale ? Que nenni : il permet à la société de redorer son image… C’est bien pratique, c’est loin d’être un hasard et ça en dit long sur les nouveaux modes de com’.
Les scandales Uber, on en a mangé pendant des mois : Uber est sexiste,
Uber soutient Trump, Uber harcèle ses employés… Après le départ brutal
du fondateur, Travis Kalanick, les initiatives se multiplient pour redorer
l’image de l’entreprise, notamment sous l’impulsion de son nouveau CEO
Dara Khosrowhshahi
Récemment, les équipes ont condamné la façon dont l’administration Trump
sépare les familles de migrants à la frontière mexicaine. L’occasion pour
Uber de se révéler expert en newsjacking, cette pratique marketing qui
consiste à déclencher une campagne ou une opé de com’ en rebondissant
sur un événement ultra médiatisé.
Plutôt que de nous pondre un joli communiqué de presse, un porte-parole
a préféré rendre public un mémo interne, destiné aux employés.
On y apprend ainsi que les boss d’Uber sont « horrifiés par ce qui se passe
à la frontière » (à savoir que 2 000 enfants aient été séparés de leurs familles)
que ça leur « brise le cœur », que « l’entreprise agit et que chacun peut agir
à son niveau ».
En effet, entres autres actions, Uber cherche à instaurer un statut pérenne
pour les immigrés, s’oppose au boycott de certains voyageurs, travaille en
collaboration avec le National Immigration Forum, l’US Chamber of
Commerce, et a fait un don de 100 000$ à l’association KIND (Kids In Need
of Defense).
C’est beau. Et évidemment plus qu’utile.
Mais on s’interroge sur le procédé : pourquoi choisir de fournir délibérément
à un média un mémo a priori destiné à l’interne plutôt que de faire une
déclaration plus classique ?
Les entreprises n'ont plus de vie privée
« Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas une fuite », explique Bérengère
Grenier, Directrice de clientèle chez Reputation Squad. En effet, le mémo a
été transmis à Business Insider par un porte-parole. « Il y a donc clairement
une volonté d’en faire un outil de communication externe, mais ce n’est pas
que ça ». Selon elle, aujourd’hui, une entreprise n’a plus de « vie privée » :
tout ce qui se passe en interne sera potentiellement rendu public, visible,
repris par la presse. « C’est un phénomène qui s’est évidemment développé
avec les réseaux sociaux : la frontière entre l’interne et l’externe se brouille
complètement ».
La technique n’est pas souvent employée, mais c’est la preuve que les
entreprises ont bien compris cette mécanique : non seulement elles maîtrisent
leurs messages en interne pour qu’ils soient cohérents avec ceux qui sont
diffusés en externe, mais elles peuvent aussi s’en servir pour toucher un
public élargi.
« Si le mémo avait été partagé par un employé anonyme, ça n’aurait peut-être
pas donné l’impression d’une opération de com’. Là, c’est complètement
assumé ». L’impact en aurait peut-être été plus positif…
Pour elle, c’est vraiment significatif d’un tournant dans les stratégies de
communication des entreprises. « Il y a encore quelques années, ce qui se
passait en interne restait en interne. Aujourd’hui, tout peut potentiellement se
savoir – ça peut servir ou desservir l’entreprise. C’est aussi un moyen pour
les salariés de pousser l’entreprise à respecter ses promesses, ses
engagements, ses valeurs ». La communication n’est plus l’apanage d’un
service dédié : tout le monde possède les outils pour transmettre, partager
et amplifier un message.
Derrière la com', l'engagement doit suivre
En ce qui concerne la diffusion du mémo, Bérengère Grenier insiste : il serait
réducteur de n’y voir qu’une action de communication. Elle précise que cela
intervient après que plusieurs entreprises de la tech’ se sont engagées sur le
sujet, et qu’il apparaît comme la continuité des actions de la société. « Uber
a pas mal souffert en termes d’image, ces derniers temps. Dara
Khosrowhshahi cherche à réaffirmer certaines valeurs ». Le CEO a d’ailleurs
partagé su Twitter un article du Washington Post accompagné du hashtag #KeepFamiliesTogether.
« Privilégier la diffusion d’un mémo interne plutôt que celle d’un communiqué
de presse, ça permet aussi à Uber de sortir du lot : sa prise de position
intervient en bout de course, tout le monde s’est déjà exprimé sur le sujet.
Ça a aussi le mérite de montrer que l’entreprise tient à fédérer l’ensemble
des salariés sur la question ».